L’archange Gabriel
accueillit l’ectoplasme Raoul Razorbak avec la déférence due à
un Grand Initié.
- Cette fois, c’est pour de bon, constata-t-il simplement.
Après un court
conciliabule, les trois archanges-juges se souvinrent qu’avec un
Grand Initié, il
n’était nul besoin de pesée ou de marchandage pour une vie
future. Cette âme-ci était déjà au courant de tout. La procédure
était forcément différente.
L’archange
Raphaël expliqua brièvement à Raoul que ses mérites dans ses vies
antérieures lui avaient valu cette mort assez rapide par un coup de
hache dans le dos. Ses mérites lui avaient aussi valu d’accéder à
toutes les connaissances qu’il avait souhaitées et, surtout, de
devenir un Grand Initié. Le temps n’était pourtant pas encore
venu pour son âme d’être transformée en esprit pur : il avait
trop péché par orgueil, s’était laissé aller à l’ivrognerie,
avait entretenu des velléités de vengeance.
Néanmoins, face à
un Grand Initié,
et compte tenu des qualités qui lui avaient permis d’accéder à
ce rang, la coutume voulait que les archanges abandonnent leurs
prérogatives déjugés. À l’ectoplasme Raoul Razorbak, donc, de
décider lui-même de sa prochaine réincarnation.
L’âme de notre
ami remercia avec gratitude. Il était le premier à savoir n’être
pas en possession des six cents points indispensables pour mettre fin
au cycle.
- Je veux être réincarné en arbre, annonça l’ectoplasme de Razorbak.
- En quoi ? s’effara l’archange Gabriel.
- En arbre, répéta fermement Raoul.
L’archange Michel
tenta de le raisonner.
- Voyons, vous n’ignorez pas que la conscience évolue du minéral au végétal, du végétal à l’animal et de l’animal à l’humain. Nous réservons ce genre de régression aux franches crapules. Arbre, c’est indigne de vous.
- Peut-être, mais je suis si fatigué ! C’est en toute lucidité que je vous prie de m’accorder cette régression. Je suis las de l’agitation du monde des humains. Même les animaux bougent trop. Je veux retrouver l’immobilité des végétaux. Pour moi, ce ne sera pas une régression mais un apaisement.
- Qu’il en soit fait selon votre volonté ! soupira l’archange Gabriel.
- Très bien, fit l’âme, ragaillardie. Montrez-moi donc ce que vous avez à me proposer comme corps végétal. Il doit bien y avoir quelque part des couples de végétaux en train de copuler, du pollen de marguerite entrant en contact avec les étamines mâles d’une congénère. Introduisez-moi dans une graine, un tubercule, un oignon ! Je jaillirai ensuite du sol pour toute une vie de saine immobilité. Tranquille, enfin tranquille.
- Mais les végétaux n’ont pas du tout la vie tranquille ! s’exclama l’archange Raphaël. Le vent les fouette, les herbivores les broutent, les pluies les noient, animaux et humains les écrasent sans y prendre garde.
- Oui, mais comme les végétaux n’ont pas de système nerveux, ils n’en souffrent pas.
Un séraphin
projeta plusieurs bulles d’amours végétales. C’était assez
poétique. Ensemble, Raoul et les archanges les examinèrent avec
candeur.
-
Eh, regardez, là ! s’exclama l’archange Michel. Une graine de
cépage de Sauternes est en train de se faire féconder en France.
C’est du
Château-Yquem,
un excellent cru. Voyez ce cep ! Il est exposé à un bon soleil, il
jouit d’une humidité suffisante, les viticulteurs l’entretiennent
avec amour. Ça pourrait être sympa de devenir un petit plant de
vigne.
Raoul regarda
avec attendrissement le végétal qui allait être son parent. Il
trouva son futur père un peu tordu mais bien sympathique. Il décida
donc d’être raisin.
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