En dépit de
toute sa fougue et de toute son éloquence, Stefania échoua à
ranimer les forces du Mal. Elle ne parvint jamais à rassembler plus
d’une centaine de voyous, lesquels s’échinèrent à la
délinquance dans l’indifférence générale.
L’Italienne
distribua par milliers des tracts que les gens ramassaient sans les
lire pour les jeter dans la poubelle la plus proche. Ils
contribuaient ainsi à la propreté de la ville, un bonus facile à
prendre.
Quelques journaux
reprirent le texte sans plus de résultats. Il ne manquait pourtant
pas d’intérêt :
Tuer ?
Or si un dieu, n’importe quel dieu, existe, il n’a jamais empêché
les peuples de s’exterminer entre eux. Au contraire, les guerres
sont devenues un moyen comme un autre d’éviter la surpopulation et
d’empêcher ainsi les humains d’écraser les autres espèces.
Voler
? Qui sommes-nous pour prétendre que quoi que ce soit nous
appartient à nous seuls et pas à un autre ? Voler n’est pas un
péché, c’est plutôt le refus de donner à autrui qui en serait
un.
Ne pas respecter
le nom de Dieu ? Mais si un dieu
existe, il s’agit certainement d’une entité très sage et très
intelligente, donc dénuée d’orgueil et de prétention. Dieu, si
un dieu existe, se moque éperdument et de ceux qui le vénèrent et
de ceux qui l’insultent.
Ne pas respecter
les choses sacrées ? Mais rien
n’est sacré. Les prêtres qui se prétendent les interprètes d’un
dieu ne font que commettre eux-mêmes le péché d’orgueil. Qui
peut oser affirmer que tel lieu, telle chose sont sacrés ?
Prétention, uniquement prétention.
Les anges ne sont
pas au fait de tout. Il y a une autorité au-dessus d’eux.
Appelez-la Dieu, si vous voulez, mais sachez que ce Dieu se fiche
absolument des bonnes actions et de la gentillesse.
Peuples du monde,
réveillez-vous ! La gentillesse, il n’y a rien de pire. »
Dans
sa fureur, notre amie avait jeté aux orties le Livre des morts
tibétain, son bréviaire d’antan, pour se ruer sur le
Petit
Livre rouge de Mao
Tsé-toung. Elle
s’enflammait pour le goût de l’action de ce président chinois.
Comme
lui, elle estimait que c’est dans la contradiction que se révèle
la vraie nature du monde et elle se comparait volontiers au Grand
Timonier en parlant de la nécessité d’une révolution permanente
et en se préparant, elle aussi, à une
Longue Marche. La
contradiction est le moteur de la pensée, disait Mao. La révolution
par le Mal est une nécessité pour l’humanité, complétait
Stefania Chichelli.
Mao avait eu son
armée rouge, elle avait son armée noire. Ses troupes s’amusaient
bien dans leurs débauches. Tant mieux, c’était toujours ça de
gagné. Au prix où ils paieraient leurs péchés là-haut, autant
qu’ils profitent d’abord du plaisir de faire un peu le mal
ici-bas.
Difficile de faire
marche arrière pour un monde envahi par la bonté ! Les « pauvres
», disait-on partout, pris de pitié pour ces malheureux
propagateurs du mal aux karmas si endommagés !
Grace à eux
pourtant, l’existence devenait moins fade. On guettait leur
prochaine mauvaise action qui pimenterait un peu le si insipide
quotidien. Ils avaient d’ailleurs des admirateurs qui louaient leur
altruiste courage. Et puis aussi, avec ces « méchants », on
pouvait se gagner à bon compte quelques points de bonus.
À
présent que tous les vêtements possibles avaient été donnés aux
Compagnons
d’Emmaüs, dès
que quelqu’un trouvait par hasard de la drogue, de l’alcool ou
des armes dans un grenier, il l’expédiait aussitôt aux amoureux
du Mal. Ceux-ci eurent beau tuer en nombre les touristes du Paradis,
cela n’empêcha pas les affaires des agences spécialisées de
tourner de plus belle. Être assassiné, c’était sans aucun doute
une bonne façon de mourir en martyr.
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