La bataille du
Paradis sema le désarroi parmi les valeureux conquérants de
l’au-delà. Tant d’hommes de Dieu morts en vain… Les
dominicains, mortifiés, se demandèrent comment ils avaient pu se
laisser convaincre par les fanatiques haschischins au point de
s’associer à eux. Ils considéraient avec mépris les rares
rescapés de la secte réfugiés dans leur forteresse des montagnes
et frémissaient au souvenir des actes cruels qu’à leurs côtés
ils avaient perpétrés.
Avaient-ils bravé
les foudres papales rien que pour mériter vraiment les flammes de
l’Enfer ?
En délégation, ils
se rendirent à notre thanatodrome des Buttes-Chaumont, multipliant
les excuses et marmonnant des prières.
Ce ne serait pas
en perpétrant des guerres qu’on parviendrait à percer les
mystères du Continent Ultime. Les dévots de toutes confessions
l’avaient compris. La bataille du Paradis marqua un tournant
historique dans leurs relations. Au temps des violentes oppositions,
succéda celui de la grande compréhension.
Face à une
assemblée bariolée, debout dans notre penthouse, Raoul prit la
parole :
- Soyez-en convaincus, toutes les religions sont bonnes. Seules sont mauvaises les intentions de certains individus qui se prétendent uniques dépositaires de la vraie foi. Zoroastriens, Alaouites, chrétiens, orthodoxes, musulmans, juifs, protestants, shintoïstes, taoïstes, chamanistes, sorciers, guérisseurs, marabouts, et même membres des sectes, toutes vos confessions ont eu accès, à un moment donné, au grand savoir commun. À une fabuleuse connaissance. Au grand mystère de la mort. Ensemble, nous unirons nos efforts pour le retrouver, intact, car en lui réside le mystère de la vie. Ensemble, nous découvrirons le pourquoi de notre présence sur la terre et quel doit y être notre comportement. Les religions ne sont que des quêtes du bon mode d’emploi de l’existence humaine.
Moines, sorciers,
rabbins et autres l’ovationnèrent.
Un moine japonais
zen expliqua que jadis, dans les temps les plus anciens, il
n’existait pas de multiples religions mais une seule, non pas une
multitude de dialectes mais une seule langue. Il n’y avait pas des
philosophies diverses, des cultures disparates, différentes
sagesses, mais une seule et la vraie. Les hommes l’avaient oublié.
Employant des langues incompréhensibles les unes pour les autres,
ils n’avaient fait que décrire le même ancien savoir, lequel
avait perdu de son sens originel à force d’interprétations
successives. Ainsi étaient nés les antagonismes. Tous les
différends n’étaient que malentendus.
Accolades.
Solennelles poignées de main. Un œcuménique accord mondial fut
signé aux Buttes-Chaumont, instaurant les deux premiers
commandements de la thanatonautique.
- Article 1 : Le Paradis n’appartient à aucune nation, ni à aucune confession en particulier.
- Article 2 : Le Paradis est ouvert à tous et personne n’a le droit d’en entraver le libre accès.
Avec ces premières
lois juridico-religieuses, c’en était fini de la période
anarchique. Les voyages au Paradis étaient désormais réglementés.
Plus personne ne pourrait se permettre d’y faire n’importe quoi
sous prétexte qu’il n’y existait aucun contrôle.
Les accords des
Buttes-Chaumont instaurèrent un nouveau climat d’entente
interreligions.
Le général Shiku
initia le rabbin Freddy Meyer au rituel de la cérémonie du thé. Il
ne s’offusqua pas que l’Alsacien le préférât au citron.
À présent que
notre thanatodrome était devenu un lieu de rendez-vous pour clercs
du monde entier, nous installâmes à leur intention une salle de
rencontre en sous-sol. Contrairement au penthouse aux vitres
étincelantes de lumière, l’endroit était sombre, empli de
reliques, d’estampes et de gris-gris les plus divers. Moines, imans
ou sorciers de passage à Paris aimaient s’y retrouver pour s’y
recueillir ou dialoguer. Ce qu’aucun conflit sur terre n’était
parvenu à imposer, une seule bataille au Paradis y avait réussi.
Toutes les religions entreprirent de collaborer pour aller plus vite,
plus loin. Jusqu’au fin fond du continent des morts !
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