L’atmosphère
œcuménique et bon enfant de notre thanatodrome ne nous faisait pas
oublier la réalité des durs combats d’un conflit qui ne faisait
que commencer.
L’Alliance et
la Coalition étaient lancées dans une guerre sans merci. Chaque
jour, nos thanatonautes se réveillaient en sueur, tremblant de tous
leurs membres et annonçant de nouvelles pertes. Freddy Meyer, notre
rabbin chorégraphe promu chef de guerre, décida que l’heure était
venue de lancer notre grande offensive. La célèbre « bataille du
Paradis » eut lieu en l’an 2065 de notre ère. Raoul, Rose,
Amandine et moi la suivîmes de notre mieux à l’aide de notre
antenne parabolique mais nous ne pouvions que constater l’agitation
qui régnait parmi les âmes. Maxime Villain en donna plus tard dans
son journal une assez bonne relation. La voici :
BATAILLE AU PARADIS.
Alors que la
brume créée par les étoiles mourantes s’épaissit aux alentours
du vortex béant du trou noir qu’on nomme Paradis, je vois
s’avancer l’armée du rabbin Freddy Meyer, forte de ses moines
chinois affables, de ses bouddhistes paisibles, d’impressionnants
sorciers cheyennes et de joyeux marabouts africains animistes. Leur
groupe est soudé. Les légions de l’Alliance ont rapproché leurs
ectoplasmes de façon à tenir en échec leurs adversaires les plus
inouïs.
Les troupes de la
Coalition surgissent quelques minutes plus tard. En première ligne,
planent des moines shintoïstes, tels de terribles bombardiers prêts
à décimer les cordons ombilicaux. En position de karatékas, ils
font tournoyer le tranchant de leurs mains comme autant d’invincibles
faux. Derrière eux, disposés sur deux ailes, ricanent des
haschischins tandis que des dominicains psalmodient des prières.
Le
ciel grouille d’âmes. Des deux côtés, des renforts arrivent de
tous les thanatodromes du monde. D’une part, près de mille deux
cents rabbins, animistes, bouddhistes, cabalistes et taoïstes. De
l’autre, deux mille trois cents moines shintoïstes, chamans,
haschischins et dominicains.
À
la tête de l’Alliance, le rabbin Meyer communique par télépathie
ses ordres à ses troupes. Chez les Coalisés, le général
Shiku, grand stratège
japonais, transmet de même ses instructions. Signalons que, depuis
leur défaite du 15 mai, ses âmes ont appris à maîtriser leurs
plus pénibles souvenirs afin de n’en pas être immédiatement
victimes dès la zone noire.
Quoi qu’il en
soit, ils ont décidé cette fois de demeurer à l’extérieur du
Paradis afin de mieux contrôler le passage des cordons ombilicaux
ennemis. Les Alliés, quant à eux, se sont placés près des portes
afin d’avoir dans leur dos la lumière qui, espèrent-ils, attirera
et aveuglera leurs adversaires.
Shiku et le Vieux
de la Montagne donnent le signal de la charge en prenant leur
cordon ombilical à pleine main. Les haschischins déferlent sur
l’aile essentiellement défendue par les sorciers animistes et
cheyennes. Les rabbins libéraux accourent à leur secours mais sont
arrêtés par les moines shintoïstes qui, du tranchant de leur
paume, coupent leurs cordons comme autant de tiges de fleurs dans un
jardin. Moines taoïstes et dominicains se lancent dans la mêlée.
Toute stratégie
semble avoir disparu. Ce n’est plus qu’une gigantesque foire
d’empoigne parmi les étoiles. Alentour, les défunts du jour
continuent d’affluer et passent, à peine intrigués par ces âmes
qui luttent avec un tel acharnement sur les pourtours du Paradis.
Les Alliés
constatent à un moment qu’en raison d’effectifs moindres, ils
commencent à avoir le dessous. Ils foncent vers le premier mur
comatique. Craignant qu’ils ne reprennent leur tactique du 15 mai,
Shiku entraîne ses troupes à leur poursuite.
Sur les corniches
du deuxième monde, de plus en plus escarpées, les pieux combattants
s’affrontent en même temps que leurs plus horribles souvenirs. Les
âmes sont transies dans ce lieu qui sent la terre et la mort. De
nombreux cordons sont coupés et des ectoplasmes de guerriers
trépassés filent vers la lumière. Trois haschischins s’en
prennent à un rabbin libéral qui tente d’échapper à leurs
mouvements saccadés par des pas de danse
yiddish.
Grace à des sauts de kung-fu, un moine taoïste parvient à trancher
d’un seul mouvement six cordons ombilicaux dominicains. Un
Mohican se
retrouve seul contre un groupe d’Iroquois. En grappes serrées, des
moonistes résistent à des scientologues. Les sectes semblent
vouloir tout spécialement en découdre entre elles. Se créent des
associations bizarres. Un marabout africain sauve un chaman
indonésien, prisonnier d’un exorciste catholique-romain qui se
demande un peu ce qu’il fait là. Une bande de moines zen se perd
dans la corniche. On assiste à une belle charge de gourous indiens,
bien tassés en position du lotus, contre des derviches tourneurs
virevoltant en toupie.
Eux ont mis au
point une ligne de défense tournante qui permet d’abriter les
soldats les plus épuisés de leur camp. Une horde de jésuites
coince un groupe d’ayatollahs
chiites pour être
à son tour attaquée par des haschischins. Ils ne doivent leur salut
qu’à un commando de Druzes
et à un petit groupe d’Alaouites.
Ça
y est, le dernier des Mohicans
est mort. Des Cheyennes
le vengent.
Contre-attaque des derviches tourneurs soutenus par des marabouts.
Regroupement en triangle des moines zen afin d’empêcher des
chamans indonésiens d’accourir à la rescousse de juifs libéraux.
Les cordons
ombilicaux claquent comme des élastiques. On se mord, on se tire.
Crocs-en-jambe et crocs-en-cordon. La lumière du fond du tunnel
éclaire ces duels d’une lueur blanche. Des visages effrayés ou
enragés pâlissent comme sous des néons. De loin, j’aperçois des
groupes liés par leurs cordons tentant des manœuvres compliquées
et souvent vouées à l’échec. Plus la moindre pitié. Plus la
moindre miséricorde. Chacun se bat pour tuer ou être tué.
Les Alliés
semblaient au début les plus aptes à triompher mais ils sont de
plus en plus dominés par la hargne de leurs adversaires. C’est
dans leur camp que les cordons coupés sont les plus nombreux.
Le
rabbin Meyer envoie le signal télépathique de la retraite et court
vers le deuxième mur comatique. Général Shiku toujours en tête,
les Coalisés suivent. Mais franchissant Moch
2, ils découvrent la
zone rouge, pleine de délices et de plaisirs. Après les douloureux
souvenirs, les dévots sont contraints d’affronter leurs fantasmes
sexuels. Quelle lutte titanesque que cette bataille où des moines
transparents tentent de se couper mutuellement leurs cordons argentés
tout en repoussant leurs désirs les mieux refoulés !
On ne sait plus
où s’arrête l’horreur et où commence l’orgie. Dominicains et
haschischins sont les plus frappés par ces visions sexuelles qui les
assaillent de partout. Sans doute étaient-ils plus frustrés que les
juifs et les bouddhistes car leurs lignes sont décimées tandis que
les Alliés, que leur religion autorise à posséder des femmes et à
faire l’amour sans tabou, résistent sans trop de mal.
Aux prises avec une
entreprenante geisha qui veut à tout prix fouiller sous leur cordon
ombilical, le général Shiku et le Vieux de la Montagne prennent la
fuite, suivis par ce qu’il reste de leurs combattants
ectoplasmiques.
À qui attribuer la
victoire dans cette bataille du Paradis ? Sans nul doute aux visions
érotiques !
Maxime VILLAIN
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