Raoul avait
dessiné la galaxie en plaçant en son centre une sorte de bouche
d’évier en trompette. Le Continent Ultime. Ce qu’il y avait de
plaisant dans cet emplacement, c’est qu’il répondait au besoin
naturel qu’ont toujours eu les humains de connaître le centre du
monde. Successivement, ils ont cru qu’il s’agissait d’une
ville, puis d’un pays, puis de la Terre, puis du Soleil. Nous
savions désormais que le système n’était qu’une broutille, à
la périphérie d’une immense galaxie, laquelle avait pour centre
un aspirateur broyeur de tout et même d’âmes.
Dieu logeait-il
là ? Y avait-il ainsi des dieux tapis au centre des millions de
galaxies qui forment l’Univers ? Rien que d’y penser me donnait
le vertige. Quel casse-tête !
Le président
Lucinder vint inspecter le nouvel agencement de notre thanatodrome.
Nous disposions désormais de huit fauteuils d’envol, un pour
Stefania, les autres pour Meyer et ses disciples.
Plaçant
l’Assemblée nationale devant l’étendue de nos percées sur le
Continent Ultime, le chef de l’État avait réussi à débloquer un
véritable budget de guerre pour la thanatonautique. Il n’aurait
plus à jongler entre caisse noire et Anciens Combattants et nous
pourrions acquérir une antenne radio-astronomique d’un format
gigantesque. Ainsi, nous pourrions enfin voir nombre d’âmes en
partance pour l’au-delà et pas seulement les ectoplasmes de nos
compagnons.
Curieux, Lucinder
demanda ensuite à assister à un envol groupé. Freddy dessina pour
lui la figure que sa bande effectuerait là-haut. Le Président
remarqua qu’elle ressemblait à une ronde de parachutistes se
tenant par la jambe. Freddy en convint, précisant toutefois qu’il
fallait en plus veiller à bien tresser les cordons ombilicaux.
- Vous devriez venir avec nous, Président.
- Merci bien, répondit notre protecteur. J’y suis déjà allé une fois mais je crois être plus utile à la cause de la thanatonautique en étant chef d’État plutôt qu’ectoplasme.
L’équipe prit
place dans les bulles de protection. Tous en position du lotus et
vêtus de leur uniforme blanc, ils étaient assez impressionnants.
- Six… cinq… quatre… trois… deux… un. Décollage !
Huit slash
crépitèrent les uns après les autres dans le récepteur radio.
Stefania était partie la première. Normal, elle serait là-haut en
tête de l’échafaudage.
Je déclenchai mon
chronomètre, plaçai les minuteries de secours sur « coma plus
cinquante minutes », puis, grâce à notre antenne parabolique, nous
suivîmes le trajet de notre commando d’âmes. Il y avait près
d’une heure à attendre. D’humeur enjouée, Lucinder proposa une
partie de cartes. Nous nous installâmes autour d’un guéridon pour
un gin-rummy, tout en lorgnant de temps à autre vers les écrans de
contrôle.
Raoul fut le premier
à jaillir de sa chaise, la renversant presque.
- Un rabbin est mort ! s’exclama-t-il.
- Quoi ! Comment ? s’effara Lucinder.
Je découvris avec
affolement que l’électrocardiogramme et l’électrœncéphalogramme
d’un des membres de la yeshiva de Strasbourg étaient plats.
- Il a dû se produire une catastrophe, là-haut !
- Ils auraient passé le quatrième mur pour chuter dans un monde infernal ?
Je secouai la tête.
- Impossible. Il n’est que « coma plus vingt-sept minutes ». Ils sont encore dans le deuxième territoire, le pays noir.
Je me précipitai
sur tous les instruments de contrôle. Tous les corps charnels
étaient nerveux. Quel drame connaissaient-ils, là-bas ? Amandine
tâta le pouls des sept survivants. Elle frémit. Un second rabbin
nous avait quittés !
- Je n’y comprends rien, fit-elle, se tordant les mains. Ils ont déjà traversé maintes fois cette zone sans problèmes. Ils devaient bientôt tresser leurs cordons…
Dans le
laboratoire, l’ambiance n’était plus qu’angoisse. Raoul était
rivé au pouls de Stefania. Je me concentrai sur les récepteurs
radio. C’était étrange. Il y avait abondance de signaux et ils ne
correspondaient pas tous à ceux de nos amis. Étions-nous confrontés
à des âmes parasites, des âmes pirates ? Quelque autorité
supérieure aurait-elle décidé de couper la « route de l’au-delà
» ?
Nous vérifierions
ces assertions plus tard. Pour l’heure, il était urgent de limiter
l’hécatombe et de ramener au plus vite nos amis avant que tous ne
trépassent.
Ensemble, nous nous
dépêchâmes de déclencher les minuteries. Six thanatonautes
furieux ouvrirent successivement les yeux. Tous tremblaient de
colère. Stefania semblait mimer encore une lutte.
- Que s’est-il passé ? Que s’est-il passé ?
Difficilement, elle
prononça un nom :
- Les Haschischins !
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