Nous
étions au restaurant thaïlandais et nous avions beaucoup de mal à
empêcher une Stefania toujours très enjôleuse de parler trop fort
et de contenir son exaltation. Elle dégageait de surcroît une telle
aura de sexualité que tous les regards masculins étaient fixés sur
elle.
Ceux des femmes
aussi, d’ailleurs. Même Amandine ne parvenait plus à rester
indifférente aux accents rauques, aux paroles extasiées de
Stefania.
Elle ne parlait que
de plaisir !
Le plaisir ! Après
tout, quelle est notre principale motivation ici-bas ? Que
recherchons-nous dans cette vie ? Pourquoi travaillons-nous, nous
intéressons-nous aux autres, qu’est-ce qui nous fait courir ? Le
plaisir !
Il fallut
plusieurs assiettes de riz basmati pour calmer l’Italienne et que,
de retour dans notre penthouse, elle retrouve une attitude
scientifique et consente à se pencher sur notre carte.
Alors, après Moch
2 ? Eh bien, à environ « coma plus vingt-quatre minutes »,
l’ectoplasme était envahi d’agréables sensations. Après la
zone bleue et la zone noire, la zone rouge. Celle du Plaisir. Dopé,
le thanatonaute accélère son vol vers la lumière. Les parois du
tunnel rouge sont tendres comme du velours. L’âme a l’impression
d’avoir regagné la matrice maternelle et de s’apprêter à
renaître. Merveilleux !
Et tout à coup,
les fantasmes les plus secrets se réalisaient. Les hommes dont avait
rêvé Stefania sans pouvoir les séduire étaient là, lui tendant
les bras et multipliant les propositions impudiques. Elle s’était
livrée avec eux à des jeux érotiques qu’elle n’avait jamais
même osé imaginer. Mais il n’y avait pas eu que le sexe. Elle
avait dégusté avec délices des nourritures qui l’avaient
toujours tentée mais qu’elle ne s’était jamais permise de
toucher.
Elle s’était
découvert des envies qu’elle ne se connaissait pas. Des femmes,
même, s’étaient occupées d’elle avec les plus suaves des
caresses. Il lui avait fallu s’accrocher très fort à ses prières
tibétaines pour renoncer à ces délices et rentrer au thanatodrome.
Elle avait dû avoir recours à toute sa volonté. Elle avait pensé
à nous qui l’attendions pour savoir. Mais ce n’était pas ça le
plus important.
Elle avait aperçu
un nouveau mur comatique, Moch 3.
Elle reprit la
carte, raya « Débouche peut-être sur Territoire 3 (?) » puis,
étirant sa langue comme une écolière appliquée, écrivit à la
place :
TERRITOIRE
3
- Emplacement : coma plus 24 minutes.
- Couleur : rouge.
- Sensations : plaisir, feu. Zone chaude et humide où l’on affronte ses plus délirants fantasmes. Zone perverse aussi, car elle nous révèle les plus inexprimés de nos désirs. Il faut les regarder en face et s’en laisser envahir, sinon on reste collé à la paroi gluante. La lumière est toujours là, comme pour nous intimer de poursuivre notre chemin.
- S’achève sur : Moch 3.
Après cet
intermède, la vie au thanatodrome changea un peu. Revenue du pays
pourpre les sens exacerbés, Stefania se jeta carrément à la tête
de Raoul. Elle n’eut d’ailleurs pas trop à le bousculer. Dès la
première rencontre, mon ami n’avait pas caché sa fascination pour
les rondeurs voluptueuses de l’Italienne.
Contrairement à
ce qui s’était passé avec Amandine, il afficha sa liaison au
grand jour. Je n’osais plus pénétrer dans les toilettes de la
salle d’envol de crainte de déranger le couple dans ses ébats.
Amandine était en
plein désarroi et bien sûr, comme toujours, elle vint chercher
auprès de moi consolation et réconfort. Délaissant le restaurant
thaïlandais de M. Lambert où nous risquions trop de tomber sur les
deux amants enlacés, elle s’invita un soir chez moi sans crier
gare. Il y avait quelques œufs dans mon réfrigérateur.
J’improvisai une omelette aux échalotes roussies. Je ne suis pas
grand cuisinier et l’omelette s’avéra un peu trop cuite mais
Amandine n’en avait cure.
- Toi, Michael, tu es le seul homme qui me comprenne vraiment.
Je détestais ce
genre de phrase. Baissant la tête, j’ôtai discrètement quelques
morceaux de coquille d’œuf que j’avais laissés choir par
inadvertance dans le plat.
Je disposai deux de
mes plus belles assiettes sur la table de la cuisine. Machinalement,
elle s’assit.
Je partageai
soigneusement l’omelette en deux. Amandine resta là, fixant sa
portion sans la voir.
- Tu ne manges pas ? demandai-je. Elle n’est pourtant pas si ratée.
- Je suis convaincue
qu’elle est délicieuse, ce n’est pas ça. Je n’ai pas faim,
soupira-t-elle.
Elle me prit la main
et me fixa avec un air de chien mouillé abandonné.
- Mon pauvre Michael… Comme je dois t’ennuyer avec mes histoires de cœur…
Je la regardai, elle
était encore plus belle lorsqu’elle était triste. Ce soir-là, je
dus écouter par le menu tout le récit de son histoire d’amour
avec Raoul. Comme il était doux, comme il était plein d’initiatives
et attentionné. Elle m’affirma qu’il était l’homme de sa vie,
et que jamais elle n’avait été aussi amoureuse. Je lui répondis
qu’elle ne devait pas s’en faire, Stefania n’était qu’une
aventure, il finirait par revenir vers elle.
Je ne comprenais pas
comment un homme pouvait ne pas être fou amoureux de cette biche
douce aux yeux bleu marine. Même pour la replète et trop audacieuse
Transalpine.
- Tu es si gentil avec moi, Michael.
Mais il n’y
avait rien dans son aura qui sonnait en résonance avec la mienne.
Elle me considérait comme un ami, ou comme un collègue asexué.
Peut-être était-ce mon désir tellement exacerbé qui lui
répugnait. Peut-être pressentait-elle ma passion niagaresque et en
redoutait-elle les effets.
- Tu es si gentil, Michael ! Laisse-moi dormir avec toi ce soir, je t’en prie. J’ai si peur de me retrouver toute seule entre mes draps froids !
Je verdis, je
rougis, je toussai.
- D’accord, balbutiai-je.
Sex appeal d'un pyjama en coton |
J’enfilai un
pyjama de coton que je boutonnai jusqu’au cou. Elle conserva sa
combinaison de soie. Je sentais auprès de moi une peau satinée, un
corps menu dégageant des effluves de mousse et d’ambre. J’étais
au supplice. Aucune femme n’avait jamais suscité en moi un tel
bouleversement.
Tremblant d’émotion
contenue, j’approchai ma main de son épaule et effleurai son
épiderme fin.
Amandine,
benoîtement blottie dans mes draps, était une émanation de
plaisirs promis. Mon cerveau était en pleine ébullition. Un dixième
de mouvement supplémentaire et je connaîtrais ce qu’avait connu
Stefania là-haut. Une forte explosion. Ce devait être mon hypophyse
qui m’envoyait cette impression de douleur. Mes doigts parcoururent
encore quelques pas sur cette route dangereuse.
Elle me saisit la
paume et la repoussa avec un sourire désolé.
- Ne gâchons pas une si belle amitié, murmura-t-elle. Tu es mon seul et unique ami, je ne veux pas te perdre.
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