Malgré les
tentatives qui se multipliaient, Moch 2
restait inviolable. Sukumi Yuka, moine zen, parvint cependant à le
toucher et prétendit avoir distingué quelque chose derrière des
lumières rouges qu’il décrivit « semblables à des geishas ».
Étrange expression pour un homme voué à la spiritualité ! Il
refusa de fournir plus amples précisions, se contentant de répéter
qu’il avait hâte de repartir pour les retrouver.
Il n’eut pas
l’occasion d’en dire davantage. Son second essor fut le dernier.
Il gisait dans une flaque de sperme, le corps tendu comme pour une
étreinte amoureuse, quand ses compagnons se résolurent à le
débrancher.
L’information
fut tenue rigoureusement secrète. Si des gens se figuraient trouver
dans la mort l’éternel plaisir sexuel, la thanatonautique
provoquerait encore de nouvelles hécatombes !
On
guetta le pionnier qui, par un premier aller-retour, nous
rapporterait un témoignage plus précis. Ce fut un yogi indien,
Rajiv Bintou. Il décrivit ce qui lui était survenu dans un livre
qui ne tarda pas à devenir un best-seller international, Plus
près de la fin (éditions du
Nouveau Continent).
Comme Félix jadis,
Rajiv Bintou tomba dans le piège du succès. Il ne parvenait plus à
se concentrer sur ses facultés spirituelles. Pour décoller, il lui
fallut utiliser des herbes hallucinogènes et, au retour, il ne se
souvint plus de rien.
Malheureusement,
le thanatodrome de Paris n’eut jamais l’occasion d’accueillir
Rajiv Bintou. Lors d’une ultime expérience, son équipe l’attendit
vainement plus de quarante-cinq minutes avant de se résoudre à
admettre la perte de son âme. Ils confièrent son enveloppe
charnelle au Smithsonian Institute de Washington où elle est
soigneusement conservée dans du formol.
Nous dûmes nous
contenter de la poésie qui imprégnait son ouvrage pour marquer la
zone au-delà de Moch 2 d’une rouge
couleur érotique.
Extrait de Plus près
de la fin :
« Ô déroutant
monde qui stagne après le deuxième mur comatique,
Les perles de ta
jouissance sont comme des nénuphars.
Ils annoncent
l’érection de la thanatonautique !
Chaque envol sera
comme un orgasme amoureux.
La conquête des
Morts permettra d’écrire la suite du Kâma-Sûtra 1.
Ce livre n’est que
le premier chapitre d’un univers de plaisir dont la mort nous
promet cent volumes.
Ô déroutant monde
de l’au-delà.
Ainsi, nos âmes
finissent dans l’extase.
Ce n’est que
logique puisque nous sommes nés dans la douleur. »
Trois mois plus
tard, la liste des morts s’allongeait. Toutes les religions
recrutaient des moines thanatonautes et les sacrifiaient sur l’autel
de la connaissance de l’au-delà. Toutes en faisaient une question
d’orgueil. Il importait de prouver que son interprétation du monde
était seule véridique. Tous les moyens étaient bons pour entourer
ces décollages de tout le cérémonial nécessaire à un acte
religieux.
Quel acte pouvait-il
être considéré comme plus religieux, puisque décoller c’était
précisément s’approcher de l’au-delà ?
On entra dans la
phase « mystique monumentale », avec des départs depuis le
Sacré-Cœur à Paris ou la pyramide de Khéops en Egypte. Et nous,
tout ce que nous savions de la contrée après Moch
2, c’était qu’elle était « rouge et emplie de plaisirs
».
Stefania n’en
pouvait plus d’impatience de s’y rendre.
Beaucoup de
méditation, d’exercices de contrôle du souffle et des battements
cardiaques et enfin, le 27 août à dix-sept heures, à force de
travail et de volonté, elle y parvint.
Avec des
gloussements incontrôlables, tout écarlate et palpitante, elle
s’éveilla baignée de sueur dans son fauteuil.
- Ouaouh ! s’exclama-t-elle, encore tout émoustillée.
Comme Raoul se
penchait pour mieux entendre son récit, elle l’empoigna par le cou
et l’embrassa à pleine bouche. Mon ami se laissa faire sans trop
se débattre tandis qu’une tempête noircissait le regard marine
d’Amandine.
- Allons, raconte-nous, dit Raoul, se reprenant avec peine.
- Waw, waw, waw, dit-elle, c’était fabuleux. Après le second mur, c’est sexe, plaisir, jouissance, c’est le grand pied, the big foot, la grande orgie romaine, la baise, c’est super !
On eut du mal à
comprendre. Elle ne parlait que par impressions. Le mot « plaisir
absolu » était celui qui revenait le plus souvent. « Plaisir,
jouissance, extase » et puis surtout une volonté presque
obsessionnelle d’y revenir pour s’envoyer en l’air.
On tenta de lui en
demander plus.
Elle disait que
c’était comme un orgasme puissance mille. Une sensation de
plénitude. Même avec la drogue, même avec ses meilleurs amants,
elle n’avait jamais, paraît-il, jamais ressenti autant de force et
de diversité dans la pâmoison.
Je rougis.
1- Mais qui va se dévouer à écrire la suite des kama sutra ? ;)
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