Stefania était
comme ça.
Raoul se taisait,
tout à sa contemplation, sensible uniquement à sa présence. Pour
la première fois, je voyais mon ami amoureux. Et la magie paraissait
opérer dans les deux sens. Leurs regards se cherchaient et se
fuyaient comme un couple de tourterelles à l’arrivée du
printemps. En revanche, les mains de Raoul ne se montraient pas, bien
enfoncées dans les poches de son pantalon.
Visiblement,
Amandine ne partageait pas notre engouement pour l’Italienne. Elle
n’avait pas apprécié ses allusions à sa sexualité. Une inconnue
n’avait pas le droit de vous jeter ce genre de remarque à la
figure et en présence d’autrui, encore. Dans ses yeux rétrécis,
l’océan bleu marine avait englouti les gouffres noirs.
De surcroît,
Amandine avait toujours été la seule représentante du sexe féminin
dans notre groupe. Elle s’était accoutumée à cette exclusivité.
Stefania représentait maintenant une concurrente d’autant plus
dangereuse qu’elle, elle avait franchi le premier mur de la mort.
Et voilà qu’en plus Raoul, le froid Raoul, se laissait séduire !
Nous avions
quitté, rassasiés, le restaurant thaïlandais de M. Lambert pour
nous rendre dans notre penthouse où nous étions plus à l’aise
pour parler. Je demandai à Stefania de nous montrer comment elle s’y
prenait pour méditer.
Elle s’assit en
tailleur, la colonne vertébrale bien droite. Ses yeux se fermèrent
et, dix minutes durant, elle resta là, immobile, sans le moindre
mouvement. Enfin elle rouvrit les paupières.
- Voilà ! s’esclaffa-t-elle. J’ai interrompu le flot tumultueux de mes pensées et je me suis laissé aspirer par une colonne de vide. Je n’ai plus eu qu’à me laisser porter pour décoller par la fenêtre.
- Qu’avez-vous ressenti ?
- Ça ne se définit pas, ça se ressent. C’est comme si vous me demandiez quel est le goût du sel. Je serais bien embarrassée de le décrire à quelqu’un qui ne connaîtrait que le sucré. Quels mots utiliser pour le définir ? Il faut goûter au sel pour savoir ce dont il s’agit. Il faut méditer pour apprendre ce qu’est la méditation.
La réponse était
pour le moins vague.
- Mais pratiquement ? Insistai-je.
- Vous m’avez vue faire. Adopter une position et m’y tenir. Me concentrer sur une image et rien d’autre. Vous pouvez commencer par vous entraîner en songeant seulement à la flamme d’une bougie. Elle valsera derrière vos paupières closes jusqu’à ce que vous souffliez pour l’éteindre et partir.
- Et aller où ?
- Au ciel. Au continent des morts. Le problème, bien entendu, est d’accepter l’idée de mourir. Vous hésitez à abandonner votre femme, vos enfants, vos amis. Vous vous croyez indispensable, quelle erreur et quel orgueil ! Pareil état d’esprit rend impropre à la méditation puisque méditer, c’est effectuer un pas vers la mort. Or, il faut accepter naturellement la mort puisque c’est peut-être ce qu’il y a de plus intéressant dans la vie.
Les yeux de Raoul
étincelèrent.
- Je ne comprends pas un mot de ce que vous dites, bougonna Amandine, maussade.
De nouveau, le rire
communicatif de l’Italienne.
- En fait, le mieux serait de vous montrer comment nous, bouddhistes tibétains, avons appris à mourir. Pour nous, et depuis des millénaires, la mort est une science et non une fatalité. Je vous emmènerai demain au temple tibétain de Paris pour une séance de travaux pratiques. Heureusement que nous avons presque partout notre succursale locale !
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