Inutile de
souligner que cette drôle de « réussite » jeta un froid sur
toutes nos activités thanatonautiques.
Jean, toujours
halluciné de terreur, expliqua aux journalistes que, derrière le
premier mur, se trouvait un pays de pur effroi. L’épouvante
totale.
- Est-ce l’enfer ? demanda un journaliste.
- Non, l’enfer doit être plus sympathique, répondit-il avec un cynisme désespéré.
Le
président Lucinder organisa comme prévu une petite fête pour
remettre à Jean son prix de
500 000 F et sa coupe, mais ce dernier ne vint pas les chercher.
Il se répandait en
interviews nous conspuant. Il nous avait baptisés « les oiseaux de
malheur ». Il disait qu’il fallait cesser d’explorer le
continent des morts, nous avions fait un pas de trop. Il conseillait
à tous de ne jamais mourir.
Lui-même s’avouait
terrorisé de devoir un jour retourner là-haut.
- Je sais ce qu’est la mort et rien ne me fait plus peur que de mourir. Ah ! si je pouvais éviter cela.
Il s’enferma dans
une petite maison qu’il transforma en bunker. Il ne souhaitait plus
rencontrer personne.
Il porta en
permanence un gilet pare-balles. Deux fois par semaine, il se rendait
à tout hasard chez le médecin. Pour éviter toutes les maladies
sexuellement transmissibles, il renonça aux femmes. Parce que les
décès par accidents étaient si nombreux sur les routes, il
abandonna sa voiture dans un terrain vague. Par crainte d’une
catastrophe aérienne, il renonça à toute conférence à
l’étranger.
Amandine tambourina
vainement à sa porte blindée. Quand Raoul le supplia par téléphone
de lui fournir au moins quelques indications pour sa carte, il lança
: « C’est noir, très noir et on y souffre affreusement », puis
raccrocha sèchement.
La péripétie
eut des conséquences fâcheuses. Jusqu’ici, le public se
passionnait assez pour notre conquête de l’au-delà parce que
chacun espérait que nous découvririons la contrée de l’éternel
bonheur. Ce n’était pas pour rien que Lucinder et Razorbak avaient
baptisé dès le départ notre mission projet « Paradis ». Le genre
humain s’était convaincu qu’après le couloir bleu de l’extase,
nous trouverions la lumière de la sagesse. Mais si le corridor
merveilleux ne débouchait que sur la douleur…
Les propos
désespérés de Bresson produisirent rapidement leur effet.
L’angoisse devint générale. Les médecins vaccinaient à tour de
bras. Les ventes d’armes grimpèrent en flèche. Les thanatodromes
furent désertés.
Avant, la mort était
pour certains simple terminaison de la vie, une extinction des feux,
en somme. Pour d’autres, elle avait été promesse d’espérance.
Tous savaient maintenant que c’était la punition ultime.
L’existence était devenue un paradis éphémère dont nous
devrions tous payer un jour la lourde facture.
La vie était une
fête. Au-delà, il n’y avait que ténèbres ! Beau succès que
l’exploit de Bresson ! Nos expériences confirmaient les deux
terribles vérités qu’avait serinées mon père : « La mort est
la chose la plus affreuse » et « on ne plaisante pas avec ces
choses-là »…
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