La science-fiction est le genre littéraire le plus riche et
le plus original, car il n'a pas de limite dans le temps et l'espace.
La science-fiction n’est même pas restreinte par les limites du connu ou
du réel. Elle peut parler des hommes préhistoriques comme des villes du futur,
elle peut parler des mondes parallèles, des peuples extraterrestres, de Dieu,
de la mort, de la folie, de la politique, de l’écologie. En fait la
science-fiction est le genre littéraire qui, plus qu’un autre, aborde les trois
questions essentielles : d’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où
allons-nous ?
Mais là où les autres genres sont limités dans le temps et dans l’espace
pour garder l’exigence de vraisemblance, la science-fiction invente ses propres
règles.
Ici, tout est permis et la seule limite est l’imagination de l’auteur. J’ai
découvert la science-fiction à l’âge de 7 ans par le biais des nouvelles d’Edgar
Allan Poe, et tout spécialement par le recueil histoires extraordinaires. Ensuite, j’ai découvert Jules Verne, et
à partir de là, je suis devenu grand lecteur d’ouvrages de ce genre
particulier.
La science-fiction vous permet ce que le réel ne peut pas encore :
explorer des planètes lointaines, retrouver votre propre grand-père ou
rencontrer vos futurs petits-enfants et leur parler !
Précisément parce qu’il s’agit d’une littérature de totale évasion, on a
soupçonné les auteurs d’abuser de leur liberté et de « délirer »,
mais la science-fiction de qualité, loin d’être un simple divertissement,
peut-être une vraie leçon de science, de politique ou de philosophie.
Ainsi, Le meilleur des mondes d’Adous
Huxley a servi d’argument pour ralentir les expériences faites sur le clonage
humain et, à chaque débat d’éthique sur la procréation, les politiciens et les
savants font référence à ce roman précis pour montrer les dangers d’une science
non maîtrisée.
Le roman 1984 de George Orwell
a, de même servi de référence dans les débats sur le contrôle des libertés
individuelles (notamment sur l’installation de caméras vidéos, de systèmes de
fichiers et de lois policières).
En fait, la science-fiction ne se contente pas d’imaginer ou de « délirer » ;
par sa capacité de prospective, elle peut réellement permettre aux
scientifiques d’avancer. Vingt mille
lieues sous les mers ,écrit en 1870 par Jules Verne, servit ainsi d’exemple
de l’exploration sous-marine qui, à l’époque, n’était qu’expérimentale. De
même, son roman, De la terre à la Lune,
écrit en 1905, a servi de référence pour trouver les financements aux premiers
projets d’envoi de l’homme sur la Lune qui aboutirent en … 1969 !
Un pays qui n’a pas de littérature de science-fiction ( et qui ne fait
que parler du passé dans ses romans historiques ou du présent dans ses romans
réalistes) n’a pas d’avenir.
Comment peut-on produire des générations de scientifiques et de
visionnaires si on ne leur a pas offert, dans leur jeunesse, des histoires qui
ouvrent les voies de l’imaginaire ?
Tout ce qui nous est arrivé de bien
actuellement a forcément été imaginé par quelqu’un du passé. Tout ce qui
arrivera de bien à nos enfants est probablement en train d’être imaginé et
décrit maintenant par un auteur de science-fiction, qui va inspirer lui-même
des expériences scientifiques.
En 1991, j’ai décrit, dans Les
Fourmis, une machine qui pouvait
transformer les odeurs émises par les antennes des insectes (phéromones) en
mots compréhensible par les humains. Dix ans plus tard, cette expérience a été
réalisé par des chercheurs. Dans Le Pères
de nos pères, j’imaginais un possible ancêtre commun entre les hommes et
les porcs qui serait le « chainon manquant » ; là encore, des
scientifiques ont trouvé quinze ans plus tard un « lien » entre nos
deux espèces.
Avant d’être auteur de science-fiction, j’ai été journaliste
scientifique et j’ai fréquenté les laboratoires et les scientifiques. Pour moi,
le travail de romancier n’est qu’une prolongation du travail de diffusion de la
connaissance par les articles. J’ai rédigé un dossier sur les N.D.E (near death
experiences) en 1986 qui m’a permis d’accumuler des témoignages, mais aussi de
montrer aux scientifiques qui accompagnent les gens au seuil de leur mort et,
en 1993, j’en ai fait un roman, Les
Thanatonautes (mot inventé à partir
des racines Thanatos, le dieu grec de
la mort, et nautis,l’explorateur).
Cette fois-ci, j’allais un peu plus loin que la science, puisque, pour moi, la
prochaine frontière que l’homme devait affronter n’était plus l’espace ou les
mondes sous-marins, mais le continent des morts, d’où personne, pour l’instant,
n’est scientifiquement revenu.
Dans L’ultime secret, quelques
années plus tard, j’utilisais une découverte peu connue d’un point précis du
cerveau qui conditionne tous nos comportements, le M.F.B (pour median forebrain bundle), pour montrer
les dérives que pourrait entraîner la maîtrise de ce centre de plaisir.
Après les grands auteurs
classiques, et notamment le choc qu’a été la lecture de La planète des singes de
Pierre Boulle, mon initiation à la science-fiction s’est faite par trois
auteurs américains.
Le premier écrivain, Isaac Asimov, m’a fait
découvrir, avec le Cycle de Fondation
(7 volumes), le futur probable de toute l’humanité dans les prochains
millénaires. Sa vision des cycles et des crises politiques comme phénomènes
pouvant être analysés scientifiquement était vraiment novatrice et m’a donné
une sorte de grille de lecture globale de la politique de l’humanité,
différente de tout ce que proposent les politiciens actuels, coincés dans des
systèmes anciens sclérosés, à vision souvent uniquement nationale.
Le second, Frank Herbert, avec son cycle de Dunes (5 volumes), m’a ouvert à la spiritualité et au danger des
religions. Sa vision d’une planète sur laquelle l’eau est la denrée la plus
rare et la plus précieuse donne une conscience de l’écologie moderne.
Le troisième auteur, Philip K. Dick, avec ses romans Ubik ou Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? , m’a ouvert
à des questionnements qui ne m’avaient pas traversé l’esprit, comme « Qu’est
qu’un homme ? », mais aussi « Qu’est-ce que le réel ? »
ou encore « De quoi suis-je vraiment sûr ? »
C’est le grand pouvoir de la littérature de science-fiction : non
seulement elle ouvre des fenêtres dans la tête des lecteurs, mais elle leur
inspire des idées qui peuvent réellement changer le monde.
Bernard Werber.
Extrait de Bernard Werber présente 20 récits d'anticipation et de science-fiction, édition Magnard, 2016.