Les haschischins
n’avaient été que les précurseurs d’une guerre de religion que
nous n’avions pas prévue. Certes, tout au début de nos
expériences, nous avions vu des clercs rivaliser d’ardeur pour
arriver les premiers dans le monde des morts mais jamais nous
n’avions imaginé que le conflit puisse prendre une telle ampleur.
Hindouistes
contre musulmans,
protestants
contre catholiques,
bouddhistes
contre shintoïstes,
juifs contre
islamistes : ce
furent d’abord les principales confessions qui s’empoignèrent
aux abords du Continent Ultime. Entrèrent ensuite en lice dissidents
et confréries soucieux d’autonomie : chiites iraniens contre
sunnites syriens, dominicains
contre jésuites,
taoïstes de la
ligne Tseu contre partisans de Tchang-tseu,
luthériens contre calvinistes, juifs libéraux contre juifs
ultra-orthodoxes et antisionistes,
mormons
contre amishs,
témoins
de Jéhovah contre adventistes
du Septième Jour, adeptes de la secte
Moon contre disciples de la Soka
!
J’ignorais que
la théologie comptât tant de nuances. Je découvrais qu’il
existait tant de dissensions entre les religions humaines qu’il
était inutile d’espérer que les croyants de toutes confessions se
retrouveraient un jour là-haut par le seul désir d’œcuménisme.
Tandis que des
ectoplasmes se tendaient des embuscades et s’entre-tuaient au nom
de leur foi, je relisais les notes où Raoul avait minutieusement
répertorié toutes les mythologies et les théologies du monde et
constatais qu’en fait nombreux étaient les points communs entre
elles. Il me semblait que toutes cherchaient à raconter une même
histoire et à transmettre un même savoir en usant de paraboles et
de mots différents.
Le conflit qui
envenimait les cieux ne tarda pas à avoir ses répercussions
ici-bas. Des terroristes haschischins lancèrent une voiture bourrée
d’explosifs contre notre thanatodrome. Nous ne dûmes notre salut
qu’à la maladresse de l’artificier qui avait mal réglé ses
bombes, lesquelles explosèrent avec lui à une centaine de mètres
de notre bâtiment.
Avec son
sang-froid coutumier, Raoul nous réunit dans notre penthouse. Nous
étions maintenant trop nombreux pour nous répandre sur les dalles
du Père-Lachaise.
Il déploya une
carte du Continent Ultime.
- Il est naturel que les religions veuillent conquérir le pays des morts car celle qui contrôlera le monde spirituel sera maîtresse aussi du monde matériel. Imaginez que les musulmans pakistanais l’emportent, ils bloqueraient les cycles de réincarnation des bouddhistes indiens !
Stefania était
devenue une spécialiste du combat ectoplasmique. Elle avait élaboré
toutes sortes de parades destinées à protéger son propre cordon
d’argent.
- Il ne faut pas négliger les possibilités d’alliance, même les plus inattendues, dit-elle. Nous avons perdu deux rabbins amis lors de notre dernier envol mais, grâce au soutien des musulmans bédouins, nous avons pu tuer une bonne dizaine de haschischins enragés. Nous ne devons donc monter qu’en groupe assez puissant pour mettre nos ennemis en déroute et poursuivre notre exploration. Après tout, c’est ça qui compte !
- Au lieu de partir à six ou sept, décoller à dix ou vingt…, fit pensivement Raoul.
- Exactement, souligna énergiquement Stefania. Ce sont toujours les plus nombreux qui gagnent. Pourquoi ne pas s’envoler à cinquante ou même à cent ?
- Très bien, remarqua Freddy, mais il n’existe pas cent rabbins thanatonautes.
- Pourquoi se cantonner aux rabbins ? dis-je. Il est peut-être temps d’opérer des rapprochements. J’ai constaté, par exemple, que la Cabale et le Yi King présentaient bien des points communs.
L’Italienne
applaudit l’idée. Là-haut, elle nous servirait d’ambassadrice.
Une semaine plus
tard, une vingtaine de moinillons asiatiques qui, à première vue,
se ressemblaient comme autant de gouttes d’eau frappaient à la
porte de notre thanatodrome. Ils appartenaient au monastère de
Shaolin
, lieu où l’on enseigne précisément depuis des
millénaires que religion et combat vont de pair. Les moines
de Shaolin sont
ainsi réputés pour être les plus grands experts
en kung-fu.
Ils sont à la source de la science et de la pratique des arts
martiaux. Eux marient depuis toujours guerre et méditation.
Freddy envisagea
avec ravissement de nouvelles chorégraphies ectoplasmiques. Il
dirigeait non plus un commando mais une véritable escadrille de
guerre capable de se grouper en formation de forteresse volante.
Il nomma notre
armée céleste l’armée de l’Alliance, l’alliance entre toutes
les religions de bonne volonté.
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