Dieu était-il
tapi au fond d’un trou noir ? L’au-delà n’était-il qu’un
trou noir ? J’avais examiné un jour la photographie d’un trou
noir dans un magazine scientifique. Elle représentait un anneau
orange flamboyant avec, en son centre, une petite tache d’un orange
moins vif. L’image m’avait rappelé l’énigme de Raoul :
comment tracer un cercle et son centre sans lever son crayon. Je
savais à présent que ce n’était pas un simple jeu de l’esprit.
Un cercle et son
centre ! Serait-ce la représentation de Dieu, la figure même de la
mort ?
Stefania apprit,
stupéfaite, à son retour, qu’elle avait traversé le tiers du
diamètre de notre galaxie pour se précipiter dans un trou noir
placé exactement en son centre.
Raoul dessina une
carte pour le situer. Cela ne lui fut pas difficile. Il suffisait de
tracer avec un compas le cercle formé par les deux branches de notre
Voie lactée, puis de placer un point en son milieu. Rose l’aida
cependant. Son savoir d’astronome complétait nos propres
connaissances en médecine, biologie et mystique de tous horizons.
Elle nous expliqua
que les trous noirs sont considérés comme l’étape ultime d’une
étoile morte et dotés de densités extraordinaires.
La pression y est
telle que la Terre, si elle y était aspirée, serait compressée
pour être transformée en une bille d’un centimètre cube pesant
le même poids que l’ensemble de notre planète !
- La puissance des trous noirs est faramineuse, disait Rose. Rien ne peut s’en échapper, ni matière ni rayonnement. En outre, ils sont très difficiles à repérer. Nous ne les discernons que lorsqu’une étoile se fait gober. À ce moment-là, elle émet un rayonnement X qui permet de déduire l’emplacement du trou noir, cimetière des étoiles dont c’est là le cri d’agonie.
Or une source de rayons X avait été remarquée en plein centre de notre galaxie. Les astrophysiciens l’avaient nommée Sagittarius A ouest . Ils avaient calculé que le trou noir était un monstre d’une masse cinq millions de fois supérieure à celle du Soleil et estimé son diamètre à sept cents millions de kilomètres (2,5 heures-lumière, soit un diamètre quatre fois plus petit que celui de notre système solaire).
Sagitarius A- Ouest, centre de l'univers |
Ce coin de l’univers
était peu connu, même s’il en était le carrefour central.
Nous divulguâmes
l’information, sans nous rendre compte de l’émotion qu’elle
provoquerait de par le monde. Nos expériences précédentes auraient
dû nous servir d’avertissement mais Raoul estimait que nous avions
des devoirs vis-à-vis de la science et tant pis pour les risques que
nous encourions.
À
Akademgorodok,
en Sibérie, une
équipe de cosmonautes russes détourna une navette spatiale pour
tenter de visiter notre trou noir-Paradis. Quelle sottise, car si
l’âme d’un thanatonaute pouvait filer plus vite que la lumière,
c’était loin d’être le cas d’un engin spatial même des plus
avancés ! Ces pirates du ciel auraient besoin d’un minimum de cinq
cents ans, ne serait-ce que pour sortir du système solaire, et d’au
moins mille ans pour atteindre le trou noir le plus proche ! Et quand
bien même, par des moyens de survie inconnus jusqu’alors, ils
auraient réussi à devenir millénaires, ils disparaîtraient
aussitôt, avalés, pulvérisés à jamais dans le vortex du trou
noir.
À l’heure
qu’il est, ces Russes errent toujours, envoyant de temps à autre
des signaux de localisation que capte le petit récepteur, installé
sur le toit du musée de la Mort du Smithsonian Institute de
Washington.
Et s’ils
avaient été les seuls à s’envoyer ainsi en l’air sans
réfléchir plus avant ! Dans le seul mois qui suivit notre
découverte du Continent Ultime, plus de cent cinquante thanatonautes
amateurs, désireux de rejoindre le Paradis, disparurent sans retour.
Plus
sérieusement, en dépit de toutes les interdictions et de tous les
anathèmes, les clercs de toutes confessions repartirent de plus
belle à l’assaut de Moch 3. Eux
avaient l’avantage de disposer de techniques d’envol déjà
inscrites dans leur pratique religieuse et opéraient avec rigueur,
utilisant à fond toutes les recettes de leur mythologie. Tout leur
était bon pour percer enfin le troisième mur comatique.
Consolation à
nouveau, la boutique familiale, au bas de notre thanatodrome, ne
désemplissait plus. Rose était devenue notre astronome en chef.
C’étaient ses autographes qui étaient à présent les plus
recherchés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire