16 heures. Le Palais
des Congrès, à Paris, grouillait de monde. Des spectateurs
s’échangeaient des journaux et commentaient de nouveaux
témoignages accablants, émanant de l’infatigable Mercassier et de
l’implacable directeur de Fleury-Mérogis, en passe de devenir une
vedette.
Au premier rang,
deux députés ne cachaient pas leurs impressions :
- Ce pauvre Lucinder, il est fini. Il voulait connaître le pays des morts, il va être servi ! Sa mort politique est en tout cas irréversible.
- Quand même, fit l’autre dubitatif, toute cette mise en scène… Il doit lui rester quelques biscuits. C’est un vieux renard.
- Pensez-vous ! C’est
son chant du cygne. Il ne dispose plus que de 0,5 % d’opinion
favorable ! Normal. Il y a sûrement 0,5 % de cinglés dans la
population pour croire au surnaturel et aux NDE.
Ils haussèrent les
épaules.
Violemment éclairée
par deux projecteurs, une jolie journaliste rousse s’exprimait face
à une caméra :
- Huit experts scientifiques sont présents dans la salle afin de surveiller toutes les manipulations et d’éviter tout trucage. Certains spécialistes ont exprimé la crainte que le président Lucinder utilise deux frères jumeaux, tuant l’un pour mieux ressusciter l’autre. C’est un vieux tour de prestidigitation bien connu. Mais avec tant de regards et d’objectifs braqués sur la scène, pareille embrouille sera impossible. On imagine mal un chef d’État,
- déjà malmené dans l’opinion, disposé à la tenter !
Dans l’attente du
« spectacle », des groupes se formaient. On discutait, on
s’interrogeait :
- Vous avez lu l’article du Matin ? Un scientifique y explique très bien pourquoi il est impossible de survivre à la mort. « Dès qu’un cerveau cesse d’être irrigué, il se nécrose. Dès qu’une cellule nerveuse meurt, elle perd ses facultés physiologiques, donc ses facultés de représentation et de mémorisation. »
- Et cette faribole de surdose naturelle de liquide endocrinien qui provoquerait des hallucinations de voyage, vous y croyez ?
Il y eut des
ricanements.
- Je ne vois pas pourquoi un corps à l’agonie utiliserait ses dernières énergies pour fabriquer des images ! s’exclama quelqu’un.
Les deux députés
se calèrent dans des fauteuils, au premier rang.
- Lucinder voulait rentrer dans l’Histoire avec un grand H, reprit l’un. Il n’a plus à s’en faire. Il y rentrera. Et par la grande porte, encore ! Cent vingt-trois assassinats sur les bras, ce n’est pas tous les matins qu’un chef d’État porte un tel chapeau.
- Beau procès en perspective !
Les feux de la rampe
s’allumèrent. Sur la scène, trônait un simple fauteuil de
dentiste. Il y avait aussi des tas de fils électriques reliés à
des écrans géants qui clignotaient comme autant d’œils borgnes.
L’événement
serait diffusé en duplex dans une soixantaine de pays. Un président
de la République se ridiculisant en direct, le spectacle valait bien
un concert de rock’n’roll ou un match de football !
Des machinistes
installèrent huit chaises autour du fauteuil de dentiste. Là
siégeraient les huit experts désignés par la commission
parlementaire. Quatre médecins, trois biologistes, et même un
prestidigitateur.
Ils surgirent sous
les applaudissements. La salle était déchaînée. Elle acclama ces
vieilles barbiches de l’Académie comme autant de matadors
descendus ensemble dans l’arène pour venir à bout d’un gros
taureau retors. Ils avaient un peu le trac. Jamais ils n’avaient
connu une telle popularité dans leurs travaux précédents. Certains
tendirent même leurs mains vers la foule. S’ils avaient pu
promettre les oreilles et la queue du Président, ils ne s’en
seraient pas privés. En guise de banderilles, ils dégainèrent
leurs stylos et commencèrent à noter sur des petits carnets rigides
toutes sortes d’observations sur le matériel présent.
Un célèbre
présentateur de télévision aux cheveux gominés monta à son tour
sur l’estrade, accompagné par un cameraman et un preneur de son.
Après quelques essais tests de voix et d’image, la lumière rouge
de la caméra s’alluma.
- Mesdames et messieurs, bonsoir, et merci de regarder RTV1, la chaîne qui vous en montre plus. Ici, dans cette salle du Palais des Congrès, l’ambiance est survoltée. Le président Lucinder s’apprête à jouer toute sa carrière sur un fantastique coup de dé : prouver au monde entier qu’il est possible de visiter l’au-delà comme s’il ne s’agissait que d’un continent éloigné. Dans le public, l’émotion est à son comble. Allons-nous assister, impuissants, à un nouvel assassinat en direct ? Ou, au contraire, à l’expérience du siècle ? Le suspense est intense…
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