Le scandale
prenait des proportions insensées. Des photos de ce qu’ils
nommaient notre « laboratoire de la mort programmée » s’étalaient
à la une de tous les journaux. À la lumière crue des flashes, la
pièce semblait une sinistre salle de torture. Des journalistes
malveillants avaient même rajouté au premier plan des bistouris
ensanglantés et des pinces encore recouvertes de poils collés.
Il y eut ensuite la
découverte du « charnier présidentiel ». En fait, le
crématorium de
la prison de Fleury-Mérogis. Comme il n’y avait plus trace
des corps de nos thanatonautes malchanceux, les journalistes avaient
imaginé des montages avec des mannequins rougis.
Ils avaient
photographié de manière floue pour donner un côté encore plus
dramatique et plus réaliste. Comme si ces clichés avaient été
pris par un espion durant notre activité. Un reporter eut même
l’aubaine de photographier un vrai suicidé de Fleury-Mérogis. Le
type s’était pendu bien après qu’on nous avait interdit l’accès
au thanatodrome. Cela ne changea rien. Son portrait boursouflé,
langue sortie et yeux exorbités, fit rapidement la une de tous les
magazines. « Ils ont osé ! » était-il inscrit sobrement sous la
photo de ce malheureux que nous n’avions jamais vu. Juste
au-dessous s’affichaient nos portraits à nous : les assassins.
Nous portâmes plainte pour diffamation mais cela ne servit à rien.
Tels des rats
quittant le navire, les ministres démissionnèrent les uns après
les autres. Un gouvernement de crise fut formé. Le président
Lucinder fut destitué de ses fonctions à la tête de l’État
jusqu’à plus amples informations.
Depuis l’Australie,
Mercassier accusait Lucinder de l’avoir obligé à agir sans tenir
compte de ses refus. Il ne fit toutefois aucune allusion à notre
expérience réussie.
Lucinder se garda de
répliquer au coup par coup. Il se contenta d’une apparition à la
télévision dans une émission populaire pour déclarer que tous les
pionniers avaient été décriés en leur temps. Il parla
d’inimaginables progrès, de conquête de l’au-delà, d’un
continent inexploré.
La journaliste qui
l’interrogeait resta de marbre. Elle rappela que même des
prisonniers de droit commun étaient des hommes et non des cobayes,
que même un Président violait le droit en autorisant des
expériences mortelles.
Jean
Lucinder ignora ses remarques. En guise de conclusion, il fit face à
la caméra et annonça tout de go :
- Chers
téléspectateurs, chers concitoyens, oui, je l’avoue, nous avons
tué au nom du savoir, pour dépasser notre condition humaine. Et
nous avons réussi ! Un de nos volontaires est allé dans l’au-delà
et en est revenu indemne. Il se nomme Félix Kerboz. C’est en
quelque sorte un pilote, un voyageur de la mort. Nous le nommons un
thanatonaute. Nous sommes prêts à recommencer avec lui
l’expérience en direct. Si elle échoue, je suis prêt à me
soumettre à votre jugement et je comprendrai très bien sa dureté.
Demain, dès demain, je vous propose de recommencer avec mon équipe
une tentative de décollage pour l’au-delà. Toutes les
télévisions de l’Hexagone et du monde pourront être présentes,
l’événement se déroulera au Palais des Congrès, à 16 heures.
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