Frictions.
Réchauffement. Chocs électriques.
Marc ouvrit les yeux
et nous écarquillâmes les nôtres.
Est-ce que nous
aurions enfin réussi ?
Notre héros nous
tira de notre stupeur en se levant d’un coup, s’agitant, brisant
tout autour de lui et poussant des hurlements.
- Je les ai vus ! Ils sont là ! Ils sont partout. Pas possible de leur échapper, ils sont partout !
- Qui ? Mais enfin, qui donc ? interrogea Raoul de son ton le plus ferme.
- Les diables ! Il y a des diables partout et ils veulent me pousser dans un grand chaudron et me mettre à cuire. Je ne veux pas mourir. Je ne veux plus jamais les revoir. Ils sont trop horribles.
Il me fixa de ses
prunelles opaques et vociféra :
- Toi aussi, tu es un diable. Les diables sont partout.
Il me lança une
fiole à la figure. Il poursuivit Amandine avec des seringues et lui
en planta une dans les fesses. Il me balafra le front d’un coup de
bistouri quand je tentai de m’interposer. J’en conserve encore la
cicatrice.
Ce comportement
entama quelque peu notre enthousiasme. Après le légume, un dément
! Même Raoul avait été impressionné par la violence de Marc. En
même temps, nous nous interrogions. Et si nous avions réussi ? Si
Marc nous ramenait vraiment un témoignage de l’au-delà ? Ce
n’était pas de sa faute s’il ne reflétait que l’horreur.
Nous n’en
détruisîmes pas moins le film vidéo et Marc fut enfermé dans un
asile d’aliénés. Pourtant, il avait été notre premier cobaye à
expérimenter une NDE.
Il n’en avait peut-être pas ramené de beaux souvenirs de couloirs
lumineux mais il n’en était pas moins rentré le corps, sinon
l’esprit, indemne.
Ce soir-là, je
raccompagnai Amandine chez elle dans ma voiture. L’infirmière ne
cessait de croiser et de décroiser ses jolies jambes. Sa blessure à
la fesse était bénigne. Moi, j’avais eu besoin de vingt-cinq
points de suture.
La robe noire
d’Amandine – elle était toujours vêtue de noir – émettait
des crissements très sensuels.
Elle n’avait pas
eu envie de prendre le RER après cette séance mouvementée et,
d’ailleurs, ni elle ni moi ne tenions après cela à passer la
soirée seuls.
Tout en conduisant,
je murmurai :
- Peut-être qu’on devrait arrêter là ?
Amandine et son
perpétuel mutisme. Je m’étais toujours dit : « Elle doit penser
des choses merveilleuses tellement elle est belle et tellement elle
ne dit rien. » Mais aujourd’hui j’en avais assez de son silence.
Elle n’était pas un objet décoratif. Elle avait vu comme moi ces
gens qui mouraient ou devenaient fous pour une expérience des plus
aléatoires.
J’insistai :
- Tant de morts inutiles ! Et pour quels piètres résultats… Qu’en pensez-vous ? Je ne vous ai jamais entendue prononcer la moindre phrase de plus de trois mots depuis que nous nous connaissons. Nous travaillons ensemble. Nous devons nous parler. Il faut que vous m’aidiez à stopper Raoul. Cette affaire a assez duré. Sans vous, je ne le convaincrai jamais.
Elle consentit
enfin à me regarder. Elle me fixa longtemps, intensément. Sa bouche
s’ouvrit. Elle allait enfin parler.
- Au contraire.
- Quoi, au contraire ?
- Au contraire, nous avons le devoir de continuer. Justement pour que toutes ces morts n’aient pas été inutiles. Nos thanatonautes savaient tous ce qu’ils risquaient. Ils savaient tous que leur mort donnerait au suivant un peu plus de chance de réussir.
- C’est comme une partie de poker où on miserait toujours plus pour récupérer ses pertes ! m’exclamai-je. C’est ainsi qu’on court à sa ruine. Quinze victimes ! Pas un projet de recherche, un jeu de massacre, oui !
- Nous sommes des pionniers, riposta-t-elle, glaciale.
- Je connais un bon
proverbe là-dessus : « Il est facile de reconnaître le vrai
pionnier. C’est celui qui gît au milieu de la plaine du Far West
avec une flèche dans le dos. »
Elle s’énerva
davantage encore :
- Vous croyez que tous ces morts ne me minent pas, moi aussi ? Tous nos thanatonautes étaient des gens formidables, avec tellement de courage…
Sa voix se brisa.
Mais c’était la première fois qu’elle alignait deux phrases à
la suite. Autant profiter de l’aubaine. Je la provoquai :
- Ce n’était pas
du courage, c’était un comportement suicidaire.
- Comportement suicidaire1 ! Et Christophe Colomb, il n’était pas complètement suicidaire pour s’en aller si loin sur une coquille de noix ? Et Youri Gagarine, avec sa boîte en tôle dans sa fusée, ce n’était pas suicidaire ? Sans les suicidaires, le monde n’avancerait pas…
Ah çà ! Galilée,
Colomb, et maintenant Gagarine, les précédents ne leur manquaient
pas pour justifier l’hécatombe !
Amandine était
maintenant lancée. Elle s’entêta à me vouvoyer.
- Je crois que vous ne comprenez rien, docteur Pinson. Vous ne trouvez pas étrange qu’on trouve si facilement des volontaires ? Les détenus sont tous au courant de nos déboires, alors pourquoi viennent-ils ? Je vais vous le dire, moi : parce que, dans notre thanatodrome, ces déchets de la société ont soudain le sentiment de se transformer en héros !
- Dans ce cas, pourquoi les autres nous crachent-ils dessus à chaque passage ?
- Paradoxe. Ils nous
en veulent de la mort de leurs amis, et pourtant eux aussi sont
prêts à mourir. Et un jour, l’un d’entre eux réussira, j’en
suis persuadée.
Tout en Amandine
me fascinait. Sa froideur, son mutisme, son mystère et maintenant sa
ferveur…
La blonde en noir
était comme une présence brûlante dans ma voiture qui affolait
complètement mes sens. Peut-être qu’à force de fréquenter la
mort, mes pulsions de vie s’étaient exacerbées ! Pour une fois
j’étais seul avec Amandine, et une Amandine émouvante et émue.
Je tentai le tout pour le tout. L’occasion était unique. Ma main
quitta le levier de vitesse et profita d’un cahot pour atterrir sur
son genou. Sa peau était satinée et dégageait une douceur
incroyable.
Elle repoussa ma
paume comme un objet malsain.
- Désolée, Michael, mais vraiment vous n’êtes pas du tout mon type d’homme.
Et c’était quoi,
son type d’homme ?
1 - Voir psychologie du risque.
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