J’étais
conscient que Raoul me proposait de devenir le complice de ses crimes
futurs. Des crimes au nom de la science ou de je ne savais trop quels
rêves de conquête de l’au-delà.
L’idée d’envoyer
des gens à la mort par pure curiosité me choquait toujours autant
mais, en même temps, tout en moi aspirait à un peu de piment dans
mon existence.
Pour me décider,
j’eus quand même recours à trois pièces de deux francs. J’avais
amélioré la méthode de Raoul en utilisant désormais non pas une,
mais trois piécettes. Je disposais ainsi d’un avis plus nuancé.
Pile-pile-pile signifiait : absolument oui. Pile-pile-face : plutôt
oui. Face-face-pile : plutôt non. Face-face-face : absolument non.
Les pièces volèrent
pour aller interroger le ciel. Puis elles atterrirent les unes après
les autres.
Pile-pile-face :
plutôt oui1.
Je décrochai mon
téléphone. Le soir même, un Raoul enchanté me parlait longuement
du projet. Dans mon studio, ses mains voltigeaient au-dessus de sa
tête comme deux pigeons heureux.
Il s’enivrait de
paroles.
- Nous serons les premiers ! Nous conquerrons ce « continent merveilleux ».
Continent
merveilleux contre serment
d’Hippocrate. Je tentai un ultime baroud d’honneur. Plus
tard, si survenait le pire, je pourrais ainsi toujours me convaincre
que Raoul m’avait forcé la main.
Il usa de nouveaux
arguments :
- Galilée aussi s’est fait traiter de fou.
Après Colomb,
Galilée
! Décidément, ce pauvre Galilée aura servi d’alibi à nombre
d’imaginations délirantes. Bien pratique, le coup de Galilée…
- D’accord,
Galilée a été traité de fou et il était parfaitement sain
d’esprit. Mais pour un Galilée, injustement accusé, combien de
véritables déments ?
- La mort…,
commença-t-il.
- La mort, je la vois
quotidiennement à l’hôpital. Les types crèvent et ils ne
prennent pas du tout l’air de thanatonautes. Au bout de quelques
heures, ils commencent à empester, les membres prennent une
rigidité cadavérique. La mort, ça pue. C’est un tas de viande
qui se nécrose.
- Le corps pourrit, l’âme décolle, prononça philosophiquement mon ami.
- Tu sais que j’ai connu un coma et que je n’ai pas décollé.
Il prit un air
navré.
- Mon pauvre Michael, tu n’as jamais eu de chance.
J’aurais dû
rappeler à Raoul que je savais très bien pourquoi il s’intéressait
à la mort. Toujours son père et son suicide. Il avait davantage
besoin d’une bonne psychanalyse que de son projet « Paradis ».
Mais pile-pile-face, j’avais déjà opté.
- Bon, venons-en au fait. Tu m’as déjà raconté avoir raté les deux premiers envols pour cause de mauvais dosage de substances anesthésiantes. Mais qu’avais-tu utilisé pour provoquer le coma ?
Son visage
s’illumina d’un grand sourire. Il me serra dans ses bras comme
avant. Il éclata de rire. Il savait qu’il avait gagné.
1 La théorie de la belle au bois dormant: Pile ou face un test
objectif sans aucun biais cognitif possible ? Peut on dire qu'il
n'existe qu'un chance sur deux que la pièce tombe sur une face ou
l'autre ? La théorie de la belle au bois dormant a permis de
résoudre certains paradoxes de la sciences physique et humaines en
prenant un point de vu original.
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