Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 278 – BILAN

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samedi 31 janvier 2015

278 – BILAN

En dépit de toute sa fougue et de toute son éloquence, Stefania échoua à ranimer les forces du Mal. Elle ne parvint jamais à rassembler plus d’une centaine de voyous, lesquels s’échinèrent à la délinquance dans l’indifférence générale.
L’Italienne distribua par milliers des tracts que les gens ramassaient sans les lire pour les jeter dans la poubelle la plus proche. Ils contribuaient ainsi à la propreté de la ville, un bonus facile à prendre.
Quelques journaux reprirent le texte sans plus de résultats. Il ne manquait pourtant pas d’intérêt :
Tuer ? Or si un dieu, n’importe quel dieu, existe, il n’a jamais empêché les peuples de s’exterminer entre eux. Au contraire, les guerres sont devenues un moyen comme un autre d’éviter la surpopulation et d’empêcher ainsi les humains d’écraser les autres espèces.
Voler ? Qui sommes-nous pour prétendre que quoi que ce soit nous appartient à nous seuls et pas à un autre ? Voler n’est pas un péché, c’est plutôt le refus de donner à autrui qui en serait un.
Ne pas respecter le nom de Dieu ? Mais si un dieu existe, il s’agit certainement d’une entité très sage et très intelligente, donc dénuée d’orgueil et de prétention. Dieu, si un dieu existe, se moque éperdument et de ceux qui le vénèrent et de ceux qui l’insultent.
Ne pas respecter les choses sacrées ? Mais rien n’est sacré. Les prêtres qui se prétendent les interprètes d’un dieu ne font que commettre eux-mêmes le péché d’orgueil. Qui peut oser affirmer que tel lieu, telle chose sont sacrés ? Prétention, uniquement prétention.
Les anges ne sont pas au fait de tout. Il y a une autorité au-dessus d’eux. Appelez-la Dieu, si vous voulez, mais sachez que ce Dieu se fiche absolument des bonnes actions et de la gentillesse.
Peuples du monde, réveillez-vous ! La gentillesse, il n’y a rien de pire. »
Dans sa fureur, notre amie avait jeté aux orties le Livre des morts tibétain, son bréviaire d’antan, pour se ruer sur le Petit Livre rouge de Mao Tsé-toung. Elle s’enflammait pour le goût de l’action de ce président chinois.
Comme lui, elle estimait que c’est dans la contradiction que se révèle la vraie nature du monde et elle se comparait volontiers au Grand Timonier en parlant de la nécessité d’une révolution permanente et en se préparant, elle aussi, à une Longue Marche. La contradiction est le moteur de la pensée, disait Mao. La révolution par le Mal est une nécessité pour l’humanité, complétait Stefania Chichelli.
Mao avait eu son armée rouge, elle avait son armée noire. Ses troupes s’amusaient bien dans leurs débauches. Tant mieux, c’était toujours ça de gagné. Au prix où ils paieraient leurs péchés là-haut, autant qu’ils profitent d’abord du plaisir de faire un peu le mal ici-bas.
Difficile de faire marche arrière pour un monde envahi par la bonté ! Les « pauvres », disait-on partout, pris de pitié pour ces malheureux propagateurs du mal aux karmas si endommagés !
Grace à eux pourtant, l’existence devenait moins fade. On guettait leur prochaine mauvaise action qui pimenterait un peu le si insipide quotidien. Ils avaient d’ailleurs des admirateurs qui louaient leur altruiste courage. Et puis aussi, avec ces « méchants », on pouvait se gagner à bon compte quelques points de bonus.
À présent que tous les vêtements possibles avaient été donnés aux Compagnons d’Emmaüs, dès que quelqu’un trouvait par hasard de la drogue, de l’alcool ou des armes dans un grenier, il l’expédiait aussitôt aux amoureux du Mal. Ceux-ci eurent beau tuer en nombre les touristes du Paradis, cela n’empêcha pas les affaires des agences spécialisées de tourner de plus belle. Être assassiné, c’était sans aucun doute une bonne façon de mourir en martyr.

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