La découverte du
septième ciel apportait chaque jour de nouveaux changements. Les
temples étaient désertés. Pourquoi participer à des cérémonies
religieuses puisque le mystère de la mort s’était évaporé ?
Même les prêtres perdaient la foi. Les principaux prélats avaient
beau clamer, toutes religions confondues, que si nous avions
découvert les anges, nous n’avions pas pour autant trouvé Dieu,
c’en était fini de la dévotion et du mysticisme.
Des temples furent
transformés en musées, d’autres en théâtres, d’autres encore
en maisons particulières. Le fin du fin était de se construire une
piscine dans une église.
Les reflets
multicolores des vitraux se réverbéraient dans l’eau et une
musique d’orgue résonnait au moment des plongeons.
Cependant, au fur
et à mesure que les religions périclitaient, la thanatonautique se
développait. Les thanatodromes privés éclosaient un peu partout
comme des champignons. Certains étaient de véritables offices de
tourisme : « Week-end dans l’au-delà. Visite guidée. Formation
spirituelle accélérée. Boosters fournis. Accompagnement par moine
diplômé de thanatonautique. Rencontre possible avec les anges. »
Évidemment, la
plupart de ces publicités étaient mensongères. Les excursions
s’arrêtaient généralement à la troisième ou quatrième zone.
Nous avions payé assez cher pour savoir comme il était dangereux de
s’aventurer plus loin.
Raoul avait
peut-être renoncé à retrouver sa mère mais il n’en restait pas
moins éthylique et amer. Après le coup de Nadine, ça m’était
égal et je n’avais plus envie de m’occuper de lui.
Au thanatodrome, les
femmes prenaient le relais. Amandine et Rose (avec laquelle je
m’étais vite réconcilié) étaient en pleine forme tandis que
Raoul et moi faisions figure de guerriers las et désabusés. Elles
prenaient plaisir à élever Freddy junior, devenu la mascotte du
lieu. Il faut dire que le gamin était rieur, curieux de tout et
facile à vivre. Peut-être qu’au fond les enfants sont de grands
sages et que seule l’usure de la vie rend les adultes
déraisonnables ?
S’il n’était
pas la réincarnation de Freddy senior, Freddy junior était sûrement
celle d’un joyeux luron plutôt sportif, étant donné sa
propension à courir partout dans tous les coins.
Amandine le
rattrapait pour un câlin. « Papa », « Maman », « pipi », «
caca » étaient les quatre mots qu’il aimait aligner
successivement. Plus tard, il lui faudrait une bonne psychanalyse
pour lui apprendre à séparer ces quatre notions distinctement.
Avec mon fils, la
vie continuait. L’humanité évoluait. Mes gènes se perpétuaient
dans le noyau de ses cellules.
- Encore à jouer avec ce gosse ! ricanait Conrad. Il doit en avoir par-dessus la tête de toi, Papa-pot-de-colle ! Moi, mes mômes, je leur fiche la paix.
- Papa-pipi ? demanda à brûle-pourpoint Junior.
Mon frère éclata
de rire et lui répondit :
- Non : papa-caca.
Je soupçonnais
Conrad d’être un mauvais pédagogue.
Mon
frère avait monté une entreprise de thanatonautique. Il bâtissait
des thanatodromes n’importe où dans le monde, à la demande. En
promoteur avisé, il innova en dotant, au gré des clients, ses
salles de décollage d’un décor mythologique ou mystique. Avec
lui, on pouvait s’envoler depuis une réplique de la pyramide
de Kheops ou d’une copie de la chapelle
Sixtine. Aux moins fortunés, il proposait des thanatodromes
individuels, des huttes de bois semblables à des saunas mais nanties
de tous les appareillages nécessaires pour réussir son décollage.
En option, pour un prix forfaitaire de deux
cent mille francs, il
fournissait système de sonorisation et uniforme de thanatonaute
identique aux nôtres.
Les affaires de
ma mère étaient aussi en plein boom. Elle avait ouvert une maison
d’édition pour publier les œuvres complètes d’Amandine Ballus
: Le Vademecum
du mourant, Quelques idées pour un week-end au Paradis, La
Thanatonautique en dix leçons, Asthmatiques, cardiaques et
épileptiques : quelques précautions à prendre avant de mourir…
Tous étaient des
best-sellers, pourtant la concurrence était rude. Les manuels
pratiques de thanatonautique, tous comme les récits-témoignages,
faisaient florès.
S’envoler était
désormais à la portée de tous. Quant à ceux qui n’avaient pas
les moyens de s’acheter tout le bric-à-brac de Conrad, ils
pouvaient toujours quitter leur corps en méditant !
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