Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 169 – MERCENAIRES DE L’AU-DELÀ

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samedi 31 janvier 2015

169 – MERCENAIRES DE L’AU-DELÀ

- Nous avons été attaqués par des ectoplasmes pirates, expliqua Stefania, encore haletante, l’uniforme frissonnant sous ses seins lourds. Ils étaient une vingtaine, dissimulés derrière le premier mur comatique. Profitant de l’effet de surprise, ils ont coupé de leurs dents les cordons de Lucien et d’Albert.

Freddy avait découvert avec étonnement que le monde des ectoplasmes possède ses propres normes. En rêve, les gens peuvent bien se battre et le sang couler. De même, dans le Continent Ultime, des ectoplasmes de même nature peuvent lutter entre eux et se couper leurs cordons ombilicaux terrestres. Il venait de le découvrir mais ne savait pas comment expliquer le phénomène. Peut-être suffisait-il d’une émission de haine ou d’agressivité pour provoquer la violence ? En tout cas, les deux pauvres rabbins avaient été proprement aspirés par la lumière au fond de l’entonnoir.
Et comment Stefania et Freddy pouvaient-ils aussi aisément désigner leurs assaillants comme étant des « haschischins » ? Transmission de pensée entre âmes. Meyer avait d’abord cru à une bataille organisée par des Arabes. Réflexe manichéen : Arabes contre Juifs, c’aurait été trop simple. Ceux-là étaient les derniers descendants des haschischins, lesquels voyaient dans cette attaque contre des rabbins un excellent moyen de réveiller la guerre sainte et de s’autodésigner comme le fer de lance de l’Islam conquérant. Ils veilleraient à ce que l’escarmouche connaisse une vaste publicité dans le monde musulman.
Stefania était furibonde.

- Ils se sont jetés sur nous. Ils nous ont empoignés. Ils tentaient de casser nos cordons en les tirant d’un coup sec ou en les enroulant sur leur cheville. L’effet de surprise passé, nous nous sommes défendus !


- Et drôlement, même ! renchérit Freddy. Nous avons à notre tour expédié ad patres trois de ces pirates. Ils savent désormais que nous ne nous laserons pas « assassiner » sans réagir. Le combat s’était déroulé un peu à la façon d’une bataille sous-marine entre hommes-grenouilles, sauf qu’au lieu de couper le tube d’arrivée d’air comprimé, il s’agissait de saboter les cordons argentés. Alentour, les défunts du jour s’effaraient de voir des thanatonautes s’entre-tuer !


Le président Lucinder, qui avait pourtant décidé d’arrêter de fumer depuis déjà trois jours, s’empara d’une des cigarettes biddies de Raoul.

- À long terme, dit-il en exhalant d’odorantes volutes d’eucalyptus, il faudra déclarer le Continent Ultime « zone démilitarisée ». Quiconque y pénétrera chargé d’intentions belliqueuses en sera immédiatement chassé.

- Par des bataillons d’ectoplasmes onusiens ? ricana Stefania.


- Pour l’heure, nous sommes impuissants. Tout le monde a le droit de monter là-haut, y compris les haschischins, et nous sommes incapables de les maîtriser au sol. Nous ne pouvons pas déclencher un conflit, même local, pour protéger un Continent Ultime qui appartient somme toute à tout le monde.

Je n’avais encore jamais réfléchi aux aspects diplomatiques de notre exploration. D’ordinaire, les pionniers plantaient le drapeau de leur pays sur le territoire qu’ils découvraient. Ainsi naissaient les colonies. Venaient d’abord les explorateurs, puis les défricheurs, ensuite les commerciaux et enfin les administrateurs. À coups de guerres territoriales, on dessinait à volonté de nouvelles frontières, parfois tracées avec une règle comme pour de nombreux pays d’Afrique. Mais nous, nous n’avions marqué en rien les zones que nous avions pénétrées, si bien que le Continent Ultime n’était actuellement la propriété d’aucune nation. De toute évidence, les premiers à user de la force pour s’en emparer risquaient d’en devenir les maîtres. Comme au Far West, ce serait à qui dégainerait le plus vite !
Naïf que j’étais, je m’étais toujours figuré que des hommes et des femmes rompus à la méditation et capables de jouer leur vie sur nos fauteuils d’envol ne pouvaient être que de braves gens, animés du seul souci de faire reculer les limites de la connaissance.
Finie l’aventure, finis les cascadeurs de la mort, finis les mystiques rêveurs ! Avec la vulgarisation des envols, se reproduiraient là-haut tous les problèmes que nous avions mis tant de temps à résoudre ici-bas. Dans l’au-delà, n’importe quelle secte, n’importe quelle horde de fanatiques, n’importe quelle bande de coquins s’avéraient aussi puissantes qu’un Etat. Quelques haschischins ne représentant qu’une cinquantaine de meurtriers écervelés menaçaient de s’approprier le Paradis, simplement parce qu’ils avaient été les premiers à avoir eu l’idée de le prendre par la force !
Comment les contrer ?
Le président Lucinder parut découragé :

- De la prudence, mes amis. Il importe d’éviter tout incident diplomatique ou politique avec le Liban, l’Iran et encore plus l’Arabie Saoudite.

Stefania s’indigna :

- Mais ni l’Iran, ni le Liban, ni l’Arabie Saoudite ne soutiennent les haschischins. Ils sont les ennemis de tous les Arabes.


- Même les autres chiites les détestent et les méprisent, renchérit un rabbin rescapé.


- Allez savoir ! gémit presque Lucinder. Les Saoudiens se sont mis en tête de construire un gigantesque thanatodrome non loin de La Mecque. À quels mercenaires ont-ils pu faire appel pour prendre la tête de la course ? Or ils sont nos principaux pourvoyeurs de pétrole et nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de nous fâcher avec eux, même pour quelques petits problèmes de thanatonautique.


- Mais c’est de vie et de mort qu’il s’agit, protesta Rose.


- Désolé, mes enfants, mais je dois d’abord me préoccuper des sept milliards d’êtres qui, sur notre planète, ont l’âme bien chevillée au corps et, plus particulièrement, des soixante millions d’individus dont une bonne moitié d’électeurs qui, dans notre pays, circulent dans des voitures qui roulent grâce au pétrole, se vêtent de tissus issus du pétrole, se réchauffent au pétrole, se…


- En ce cas, si nous dénichions un émir saoudien prêt à s’allier avec nous ? demandai-je à brûle-pourpoint.


- En ce cas, carte blanche ! dit le chef de l’Etat en ouvrant largement les bras.

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