Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 114 – UN PAS DE TROP

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jeudi 29 janvier 2015

114 – UN PAS DE TROP

Inutile de souligner que cette drôle de « réussite » jeta un froid sur toutes nos activités thanatonautiques.
Jean, toujours halluciné de terreur, expliqua aux journalistes que, derrière le premier mur, se trouvait un pays de pur effroi. L’épouvante totale.

- Est-ce l’enfer ? demanda un journaliste.


- Non, l’enfer doit être plus sympathique, répondit-il avec un cynisme désespéré.

Le président Lucinder organisa comme prévu une petite fête pour remettre à Jean son prix de 500 000 F et sa coupe, mais ce dernier ne vint pas les chercher.
Il se répandait en interviews nous conspuant. Il nous avait baptisés « les oiseaux de malheur ». Il disait qu’il fallait cesser d’explorer le continent des morts, nous avions fait un pas de trop. Il conseillait à tous de ne jamais mourir.
Lui-même s’avouait terrorisé de devoir un jour retourner là-haut.

- Je sais ce qu’est la mort et rien ne me fait plus peur que de mourir. Ah ! si je pouvais éviter cela.

Il s’enferma dans une petite maison qu’il transforma en bunker. Il ne souhaitait plus rencontrer personne.
Il porta en permanence un gilet pare-balles. Deux fois par semaine, il se rendait à tout hasard chez le médecin. Pour éviter toutes les maladies sexuellement transmissibles, il renonça aux femmes. Parce que les décès par accidents étaient si nombreux sur les routes, il abandonna sa voiture dans un terrain vague. Par crainte d’une catastrophe aérienne, il renonça à toute conférence à l’étranger.
Amandine tambourina vainement à sa porte blindée. Quand Raoul le supplia par téléphone de lui fournir au moins quelques indications pour sa carte, il lança : « C’est noir, très noir et on y souffre affreusement », puis raccrocha sèchement.
La péripétie eut des conséquences fâcheuses. Jusqu’ici, le public se passionnait assez pour notre conquête de l’au-delà parce que chacun espérait que nous découvririons la contrée de l’éternel bonheur. Ce n’était pas pour rien que Lucinder et Razorbak avaient baptisé dès le départ notre mission projet « Paradis ». Le genre humain s’était convaincu qu’après le couloir bleu de l’extase, nous trouverions la lumière de la sagesse. Mais si le corridor merveilleux ne débouchait que sur la douleur…

Les propos désespérés de Bresson produisirent rapidement leur effet. L’angoisse devint générale. Les médecins vaccinaient à tour de bras. Les ventes d’armes grimpèrent en flèche. Les thanatodromes furent désertés.
Avant, la mort était pour certains simple terminaison de la vie, une extinction des feux, en somme. Pour d’autres, elle avait été promesse d’espérance. Tous savaient maintenant que c’était la punition ultime. L’existence était devenue un paradis éphémère dont nous devrions tous payer un jour la lourde facture.
La vie était une fête. Au-delà, il n’y avait que ténèbres ! Beau succès que l’exploit de Bresson ! Nos expériences confirmaient les deux terribles vérités qu’avait serinées mon père : « La mort est la chose la plus affreuse » et « on ne plaisante pas avec ces choses-là »…

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