Les Thanatonautes (Bernard Werber) : 103 – GRABUGE

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jeudi 29 janvier 2015

103 – GRABUGE

Le lendemain, au thanatodrome des Buttes-Chaumont, l’ambiance était à l’orage. Félix était rentré fin saoul comme d’habitude, et en compagnie d’une prostituée par-dessus le marché. Ils avaient dormi à même la moquette après qu’il eut vomi sur le trône de lancement.
Arrivé dès l’aube, Raoul avait chassé la fille avant qu’Amandine ne la surprenne et nettoyé ce qui était nettoyable, aidé par Jean Bresson.
Malgré plusieurs gobelets de café chaud, Félix avait toujours la gueule de bois.

- Me faites pas la morale, bordel ! Vous savez qui je suis ? Le premier thanatonaute du monde. Du Monde. Fourrez-vous ça bien dans le crâne. Les autres, ils ne sont que des assistants, des sous-pilotes de pacotille.

Pur hasard, je survins en même temps qu’Amandine. Félix fixa aussitôt sur nous un doigt accusateur.

- Et voilà nos deux tourtereaux ! Si vous croyez que j’ai pas compris votre petit manège, c’est que vous me prenez pour le roi des cons !

Raoul poussa un soupir d’exaspération.

- La ferme, Félix ! J’ai de mauvaises nouvelles pour nous tous. Un fax est tombé ce matin : les Anglais ont réussi à rejoindre Moch 1. Ils sont à « coma plus dix-neuf minutes ». Alors, Félix, tu arrêtes tes sornettes et on se remet au travail avec la rigueur du début. Lever, sept heures. Déjeuner : fruits et céréales. Check-up complet avant chaque décollage. De la discipline et encore de la discipline, ce n’est qu’ainsi que nous éviterons de nous faire dépasser par ces types.


- De la part de rosbifs, ça m’étonnerait, bredouilla Félix. Dès demain, je vous réussis un « coma plus vingt-trois » aux petits oignons.


- Ah oui ! En attendant, premier thanatonaute du monde, rentre te dessaouler chez toi, ordonna sèchement Raoul.

Quand il prenait ainsi son ton de commandement, même Félix cessait de jouer les vedettes et obéissait au chef incontesté de l’équipe. Pliant l’échine, il déguerpit sur un dernier rot.
Le soir même, Raoul nous convoquait, Amandine et moi, dans le penthouse. Dans ce décor tropical, parmi les plantes grasses, nos problèmes paraissaient souvent plus anodins. Mais là, Raoul était grave :

- Félix ne tourne pas rond, dit-il d’emblée. Faites attention tous les deux. Je sais parfaitement qu’il n’y a rien entre vous mais lui s’est mis des idées en tête et ça le perturbe !

Je ne voulais pas entrer dans un débat pénible pour Amandine, je m’empressai de faire diversion.

- C’est vrai ce que tu nous as raconté, ce matin ? Des Anglais ont réellement touché Moch 1 ?


- C’est tout à fait officiel. Un certain Bill Graham talonne Félix avec son « coma plus dix-neuf minutes ». Vous comprenez donc que l’heure est grave.

Il alluma une de ses fines cigarettes et reprit :

- L’enjeu est trop important. Nous sommes dans une course mondiale. Il n’y a plus de place pour les erreurs. Alors, Amandine, tu vas me faire le plaisir d’avoir une explication franche avec Félix. Montre-lui que tu le soutiens et que, même s’il est saoul, il ne te dégoûte pas.

L’intéressée commença par se défendre.

- Mais… mais…


- Fais ça pour la thanatonautique, si tu ne le fais pas par passion amoureuse.

La jeune infirmière accepta, avec résignation. Le lendemain matin aux aurores, le couple s’expliqua. Ce fut surtout Félix qui s’excusa pour son comportement de la veille. Ils décidèrent de maintenir le mariage et nous reprîmes les procédures de vol.
Alors que Félix était sur le trône de lancement, Raoul le conjura d’être prudent.

- T’inquiète pas, vieux frère. Comme tu dis : « Tout droit, toujours tout droit vers l’inconnu. »

Il s’installa lui-même les boosters dans les veines. Puis le décompte s’égrena.

- Six… cinq… quatre… trois… deux… un. Décollage.

Avant de fermer les yeux, il lança encore une petite phrase en direction d’Amandine.

- Pardonne-moi.


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